Opinions
Retour sur la chronique à rebondissement de l’aducanumab par le Dr Nicolas Villain de l’Institut de la Mémoire et de la Maladie d’Alzheimer à Paris. Pour aller plus loin voir également cet éditorial paru dans la revue neurologique.
Le 22 octobre dernier le laboratoire Biogen® générait une sérieuse dissonance cognitive : après avoir arrêté en mars 2019 deux études jumelles de phase III (ENGAGE et EMERGE qui testaient l’efficacité de l’anticorps monoclonal anti-amyloïde aducanumab) pour futilité (analyse intermédiaire jugeant la probabilité trop importante pour que les résultats finaux soient négatifs), il ressuscitait l’espoir d’un traitement modifiant l’évolution de la maladie d’Alzheimer (MA) en affirmant que des analyses plus complètes étaient finalement positives !
Quels sont ces nouveaux résultats positifs ? Ont-ils des limites ? Que s’est-il passé entre mars et octobre 2019 ? Et que doit-on en attendre ?
Les Pour
Les résultats présentés le 22 octobre lors de la conférence de presse du laboratoire ainsi qu’au CTAD (1) montrent qu’au sein d’une des 2 études de phase III (EMERGE), le groupe de patients (stade léger de MA avec pathologie amyloïde prouvée : MMSE ≥ 24) recevant une plus forte dose a une progression clinique à 18 mois significativement moins importante que le groupe placebo (critère de jugement principal = mesure de la progression de la CDR-SB, qui se trouve réduite de 23%, p = 0.012). Ce résultat est confirmé sur les critères de jugements secondaires cognitifs (progression du MMSE réduite de 18%, progression de l’ADAS Cog 13 réduite de 27%) et fonctionnels (progression de l’ADCS ADL MCI réduite de 40% !).
Ce résultat est très encourageant et séduisant car on observe un véritable effet dose : aucun effet significatif n’est observé chez les patients ayant reçu le traitement à plus faible dose. Il s’agit également de la première étude de phase III testant un anticorps anti-amyloïde à obtenir un effet clinique significatif (là où tous les autres ont échoué depuis une dizaine d’années). L’aducanumab avait déjà été le premier à démontrer une efficacité clinique (sur les mêmes critères que dans les études EMERGE et ENGAGE) lors d’une étude préliminaire de phase Ib (étude PRIME) (2) et dans son extension (3). Enfin, les effets sur les lésions neuropathologiques de maladie d’Alzheimer sont également très cohérents avec ces résultats cliniques puisque dans les analyses en sous-groupes la charge amyloïde mesurée en TEP est très significativement abaissée par le traitement et des effets sont également significatifs concernant la pathologie tau (baisse de la protéine phospho-tau mesurée dans le LCR et ralentissement de l’accumulation de la charge tau mesurée en TEP) connue pour être mieux corrélée aux symptômes que la pathologie amyloïde (4). Tous les indicateurs seraient donc au vert si l’on s’arrêtait là.
Les Contre
Malheureusement l’étude jumelle d’EMERGE, ENGAGE (identique en tous points sauf dans les sites recruteurs), non seulement ne présente aucun résultat clinique significatif mais elle est même très loin d’observer une tendance : la progression de la CDR-SB est même plus importante de 2% dans le groupe forte dose, p = 0.83. Les résultats sont superposables dans les critères de jugement secondaires où tous les p sont supérieurs à 0.15. Les résultats en sous-groupe sur la pathologie amyloïde et tau restent pourtant significatifs dans l’étude ENGAGE. L’argumentaire du laboratoire se focalise sur une petite différence entre les 2 études qui pourrait expliquer ces résultats discordants : en effet, un amendement survenu au milieu des 2 études de phase III a permis d’augmenter la dose reçue par les patients du groupe forte dose (passant de 6 à 10mg/kg pour ceux avec le statut ApoE4+). Or le recrutement de l’étude ENGAGE était plus avancé que celui de l’étude EMERGE au moment de cet amendement. Aussi, les patients du groupe forte dose de l’étude ENGAGE ont reçu une dose moins importante que ceux de l’étude EMERGE. Le laboratoire a donc procédé à une analyse exploratoire du sous-groupe d’ENGAGE ayant reçu la dose de 10mg/kg et retrouve une tendance à l’efficacité clinique similaire à celle de l’étude EMERGE (mais avec toutes les limites de ces analyses en sous-groupes : faible nombre de sujets, biais possibles, p non interprétable etc). Par ailleurs, 9-11% des patients du groupe forte dose des deux études EMERGE et ENGAGE ont abandonné le protocole contre 2 à 5% dans le groupe placebo.
Si on rajoute ces résultats à l’arrêt pour futilité prononcé par le laboratoire lui-même en mars 2019, les arguments commencent à pencher pour la prudence. En effet, en décembre 2018 le laboratoire avait demandé à un organisme indépendant de procéder à une analyse de futilité à mi-parcours (analyse réalisée sur la moitié de l’effectif qui avait donc reçu le traitement pendant 18 mois et sur les critères de jugements principaux) : l’étude ENGAGE était donc négative et une simple tendance était observée pour EMERGE, arguments suffisants pour arrêter le protocole en mars 2019. Les résultats de fin 2019 (qui ont donc simplement renforcé ce qui était déjà observé en mars) viennent d’analyses prenant en compte les nouveaux patients ayant complété le protocole entre décembre 2018 et mars 2019 ainsi que l’intégration des données de patients ayant effectué une partie du protocole (en utilisant un modèle statistique à effets mixtes parfaitement valide : les 2 approches statistiques, classique et à effets mixtes, apportant d’ailleurs strictement les mêmes résultats).
EMERGE : faux positif ou porteur d’espoir ?
Que doit-on penser de ces résultats pour le moins ambigus ? Se réfugier dans un scepticisme (« A force d’essais on risquait bien de tomber un jour sur un faux positif ! ») ou au contraire se laisser porter par l’espoir ? La réponse est probablement typiquement normande… En effet, l’aducanumab est le premier anticorps anti-amyloïde à avoir un tel effet sur la diminution de la pathologie amyloïde : les autres anticorps, à l’exception du solanezumab, avaient certes un effet significatif en faisant baisser la charge de la pathologie amyloïde mais l’amplitude de cette baisse était bien moindre que celle observée pour l’aducanumab (5–7). Cet effet se traduit d’ailleurs par un taux d’ARIA (Amyloid Related Imaging Abnormalities – réactions oedémateuses et/ou hémorragiques semblables aux formes inflammatoires d’angiopathie amyloïde observées depuis les 1e essais avec les anticorps anti-amyloïde) (8) plus élevé pour l’aducanumab que pour les autres anticorps (34% contre un maximum de 16% pour les autres anticorps) (5–7), avec son pendant pratique à savoir un taux d’abandon de protocole plus important.
Il semble en effet y avoir une relation entre l’importance de la baisse de la charge amyloïde cérébrale et l’effet clinique. Dans cette ligne, les résultats de la phase II de l’anticorps BAN2401 montrent à la fois un très fort effet sur la charge amyloïde et un effet clinique significatif (9) ! Roche ne s’y est d’ailleurs pas trompé puisqu’ils relancent une nouvelle étude avec le gantenerumab à forte dose, après avoir montré que de fortes doses de gantenerumab entrainaient une baisse importante de la charge amyloïde (10). En plus de ces effets singuliers sur la baisse de la charge amyloïde cérébrale, les résultats d’EMERGE vont dans le même sens que d’autres essais cliniques d’anticorps anti-amyloïde (avec des essais thérapeutiques correctement construits : patients aux stades légers et utilisation de biomarqueurs) à savoir une tendance à l’efficacité sur les scores cliniques. Outre l’essai de phase II du BAN2401 déjà cité (9), l’essai de phase III EXPEDITION3 testant le solanezumab n’était pas significatif sur l’ADAS Cog 14 [p = 0.1] choisi comme critère de jugement principal mais aurait été significatif si le critère de jugement avait été le MMSE ou la CDR-SB utilisé par Biogen® (7).
Néanmoins les signaux d’efficacité de l’aducanumab semblent fragiles car négativés par un simple changement de dose d’une partie de l’effectif. Ceci suggère que l’amplitude de l’effet clinique (au moins à 18 mois) est faible à modérée. En outre les patients traités à haute dose ne montrent pas de stabilisation clinique mais simplement un ralentissement de l’aggravation. Il ne s’agit pas de considérations triviales d’un point de vue médico-économique. Le coût moyen annuel par patient d’une immunothérapie était estimé à 50.000€ en 2017 (11) et il n’est pas besoin de rappeler ici la prévalence de la maladie d’Alzheimer.
A l’heure actuelle deux niveaux d’incertitude restent donc pour l’aducanumab : 1) les autorités de santé feront-elles une exception en donnant l’AMM à un produit n’ayant rempli qu’une des 2 conditions normalement nécessaires (positivité de 2 essais de phase III), quitte à créer un précédent ? Biogen® a déposé un dossier complet auprès de la FDA en ce sens le 10 juillet dernier… Concernant l’Europe et l’Asie, les discussions n’auraient a priori pas encore été entamées. 2) Les organismes payeurs (sécurité sociale, mutuelles) accepteront-ils de rembourser un traitement coûteux avec l’amplitude des effets cliniques constatés ? Nos expériences récentes en France avec les anticholinestérasiques ou avec l’ocrélizumab dans les formes primaires progressives de sclérose en plaques permettent d’en douter.
Conclusion
Pour conclure, nous ne pouvons qu’appeler à un enthousiasme prudent mais porteur d’espoir devant ces résultats ambigus mais cohérents de l’aducanumab, qui pourrait être le premier traitement efficace modifiant l’évolution de la maladie d’Alzheimer. Dans l’idéal un 3e essai de phase III avec la dose de 10mg/kg d’aducanumab permettrait de confirmer les espoirs nés avec EMERGE. Néanmoins un tel essai impliquerait de repousser la commercialisation de plusieurs années et ne semble pas être la (coûteuse) voie choisie par Biogen®. Entretemps, la phase III du BAN2401 (co-développé par Eisai® et Biogen®) aboutira peut-être à des résultats incontestables. Malgré dix dernières années douchées par des résultats négatifs, la flamme de l’espoir concernant les anti-amyloïdes n’est donc pas éteinte !
Dr Nicolas Villain
Département de Neurologie, Institut de la Mémoire et de la Maladie d’Alzheimer, Assistance Publique - Hôpitaux de Paris, CHU Pitié-Salpêtrière, Paris, France Institut du Cerveau et de la Moelle Epinière, Paris, France
Crédits Photos : Photo du Dr Villain par lui-même
Références
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- Sevigny J, Chiao P, Bussière T, et al. The antibody aducanumab reduces Aβ plaques in Alzheimer’s disease. Nature 2016; 537: 50–6.
- von Rosenstiel P, Budd Haeberlein S, Castrillo-Viguera C, et al. Aducanumab 48-month analyses from PRIME, a Phase 1b study in patients with early Alzheimer’s disease. In: 11th Clinical Trials on Alzheimer’s Disease (CTAD). Barcelona, 2018.
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- Sperling RA, Jack CRJ, Black SE, et al. Amyloid-related imaging abnormalities in amyloid-modifying therapeutic trials: recommendations from the Alzheimer’s Association Research Roundtable Workgroup. Alzheimer’s Dement J Alzheimer’s Assoc 2011; 7: 367–85.
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- Pajares y Sanchez C, Saout C. Prix et accès aux traitements médicamenteux innovants. 2017 http://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2017/2017_04_acces_medicaments_innovants.pdf.