Saga Aducanumab : fin de la saison 3, l’histoire continue.

La FDA (Food and Drug Administration) américaine a autorisé le 7 juin 2021 la mise sur le marché de l’aducanumab, immunothérapie anti-amyloïde et dont le nom commercial, ADUHELMTM, a été dévoilé.

La puissante FDA (Food and Drug Administration) américaine a autorisé le 7 juin 2021 la mise sur le marché de l’aducanumab, immunothérapie anti-amyloïde, dont le nom commercial, ADUHELMTM, a été dévoilé.

De façon attendue, il ne s’agit pas d’une autorisation définitive. ADUHELMTM bénéficie du programme d’autorisation accélérée, qui permet à un traitement de recevoir une autorisation de mise sur le marché provisoire en tenant compte de son effet sur un critère de substitution (ici l’élimination des plaques amyloïdes). Charge au laboratoire BIOGEN de démontrer maintenant le bénéfice clinique dans le cadre d’études post-AMM.

L’une des surprises vient de l’indication large retenue dans les résumés des caractéristiques du produit : ADUHELMTM est indiqué dans la maladie d’Alzheimer, sans aucune mention de stade ou des critères diagnostiques. Le recours aux biomarqueurs n’est pas obligatoire et, en dépit de l’échec des essais antérieurs d’immunothérapie anti-amyloïde au stade de démence, le traitement n’est pas réservé au stade prodromal/débutant, qui correspond aux critères d’inclusion des études de validation. Nulle trace non plus d’éventuelles contre-indications, notamment la prise d’anticoagulants, alors que le risque de saignement cérébral est avéré et que cette contre-indication était appliquée dans les essais du laboratoire.

C’est l’épilogue provisoire d’une saga extraordinaire de plusieurs années, qui a débuté en 2016 par les résultats spectaculaires d’un essai de phase 1b (PRIME)1. Malgré son faible effectif, l’étude montrait l’élimination des dépôts amyloïdes et un ralentissement dose-dépendant de la progression clinique à un an chez les patients recevant l’aducanumab, relançant l’enthousiasme vis-à-vis des immunothérapies anti-amyloïde après plusieurs échecs retentissants. Dans un deuxième acte tragique, les deux essais de phase 3 ENGAGE et EMERGE qui ont fait suite ont été brutalement interrompus en mars 2019 après une analyse intérimaire de « futilité » défavorable. Le troisième acte voyait le phénix renaître de ses cendres en octobre 2019, lorsque l’analyse définitive de l’un des essais de phase 3 montrait, contre toute attente, des résultats positifs sur les critères de jugement principal. Depuis d’intenses tractations ont débuté avec la FDA, arguant du signal positif des analyses post hoc des deux essais de phase 3 dans le groupe des patients ayant reçu des fortes doses d’aducanumab de façon prolongée.

Cette décision est à la fois controversée et historique. Premier traitement anti-Alzheimer bénéficiant d’une AMM depuis 2003, l’aducanumab est également le premier traitement agissant sur la physiopathologie présumée de la maladie. Soutenue par la puissante Alzheimer’s Association, la décision suscite un espoir formidable et un signal fort pour la recherche thérapeutique sur la maladie d’Alzheimer.

Il existe évidemment un aspect politique, au sens noble du terme, à cette décision historique. Les sceptiques font valoir des arguments fondés, s’interrogeant sur l’absence de démonstration probante de l’efficacité clinique du traitement par une étude supplémentaire menée à son terme. Mais de nouveaux essais auraient nécessité un délai de plusieurs années et un investissement massif du laboratoire. La FDA requiert donc un essai de confirmation post-commercialisation, mais on ignore encore quelles seront ses exigences (essai randomisé contre placebo, seul à même d’apporter des preuves solides de l’efficacité clinique, ou étude observationnelle qui comparera les patients traités aux cohortes historiques ?). La marge thérapeutique (rapport bénéfices/risques) de l’ADUHELMTM interroge également, compte tenu du risque d’œdème cérébral et de microhémorragies sous traitement (ARIA).

L’AMM américaine ouvre donc une nouvelle saison de la saga aducanumab. Il est possible que le rationnel qu’elle utilise pour justifier sa décision (l’efficacité sur les plaques amyloïdes) suscite d’autres demandes d’AMM pour les immunothérapies ayant montré une efficacité similaire sur ce critère de substitution, mais pas d’effet clinique. Les prochaines étapes verront intervenir l’agence européenne du médicament (EMA) chez laquelle le dossier est à l’étude depuis 2020, et qui devrait rendre ses résultats au premier trimestre 2022. Puis viendra notre Haute Autorité de Santé (HAS), qui avait fait preuve de tant de scepticisme vis-à-vis des traitements symptomatiques. Il s’écoulera donc encore plusieurs années avant que, peut-être, nous disposions de l’ADUHELMTM pour nos patients. A moins que…

A moins que la France prenne un peu d’avance. Nous disposons en effet du dispositif d’autorisation en accès précoce (ex-ATU). Ce dispositif est réservé aux médicaments pour lesquels l’industriel a déposé ou s’engage à déposer, une demande d’AMM, pour l’indication considérée et dans un délai déterminé. Sont éligibles, les médicaments présumés innovants destinés à traiter une maladie grave, rare ou invalidante pour laquelle il n’existe pas de traitement approprié ; jusqu’ici tout va bien. Le nerf de la guerre sera de convaincre l’HAS et l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) que la mise en œuvre du traitement ne peut pas être différée, et que son efficacité et sa sécurité sont présumées au vu des résultats d’essais thérapeutiques. Tout est, une fois encore, question d’interprétation.

Une demande d’autorisation en accès précoce de l’aducanumab pourrait donc être déposée en définissant collégialement ses indications, ses modalités de suivi et d’évaluation, en vue de son utilisation supervisée dans les CMRR et les grands centres mémoire. La FCM sera à l’évidence partie prenante d’une telle initiative.

Pour l’heure, en conservant une vigilance critique, ne boudons pas notre plaisir à cet instant historique, qui marque peut-être un tournant dans notre profession.

1. Sevigny, J. et al. The antibody aducanumab reduces Aβ plaques in Alzheimer’s disease. Nature 537, 50–56 (2016).

Cet article a été rédigé par le Dr Thibaud Lebouvier et validé par les membres du Bureau de la Fédération des Centres Mémoire :

Thibaud Lebouvier

Dr Thibaud LEBOUVIER

Audrey Gabelle

Pr Audrey GABELLE

Maria Soto

Pr Maria SOTO

Stéphane Epelbaum

Dr Stéphane EPELBAUM

Jean-Michel Dorey

Dr Jean-Michel DOREY

Eric Dumas

Dr Eric DUMAS

Virginie Goutte

Mme Virginie GOUTTE

Laetitia Breuilh

Mme Laetitia BREUILH

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